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L'impossible calcul de l'impôt de Gérard Depardieu

145 millions d'euros versés au fisc en quarante-cinq ans, 85 % d'impôts cette année... Les chiffres cités par Gérard Depardieu pour justifier son départ en Belgique sont-ils exacts ?

Par Samuel Laurent et Jonathan Parienté

Publié le 17 décembre 2012 à 19h13, modifié le 18 décembre 2012 à 17h26

Temps de Lecture 5 min.

Gérard Depardieu, au salon Vinexpo de Bordeaux en 2005.

145 millions d'euros versés au fisc en quarante-cinq ans de carrière, 85 % d'impôts cette année... Les chiffres cités par Gérard Depardieu pour justifier son départ en Belgique interpellent et intriguent. Sont-ils exacts ?

Avouons-le d'emblée : sans connaître précisément les revenus et les activités de ce futur citoyen belge, il est impossible de savoir si ces chiffres sont vrais ou exagérés. Car Depardieu, c'est un business qui dépasse de loin le cinéma. Outre des d'intérêts dans la production, il est notamment propriétaire de deux restaurants, d'une poissonnerie et d'une épicerie japonaise à Paris, de vignes un peu partout en France et à l'étranger, de parts dans une concession de motos, etc.

Via ses cachets d'acteur, il est donc imposé sur le revenu, au travers de ses sociétés, il paye des impôts sur leurs bénéfices, et pour son patrimoine, il est assujeti à l'ISF. Il est évidemment soumis à la taxe d'habitation ou encore à la taxe foncière. Sans oublier la TVA et autres taxes indirectes qu'il paie, à l'instar des autres personnes résidant en France.

  • Un impôt sur le revenu bien en deçà des 85 %

"Je pars après avoir payé, en 2012, 85 % d'impôts sur mes revenus", se justifie Gérard Depardieu, mais la phrase est ambigüe. M. Depardieu affirme-t-il avoir payé 85 % de ses revenus en impôts ou avoir été imposé à 85 % sur des revenus ?

Payer 85 % d'impôt sur le revenu est impossible. En effet, il est calculé selon un barème progressif, qui atteint, en 2012, 41 % dans sa tranche la plus élevée. La fameuse taxe à 75 %  sur les revenus, au-delà d'un million d'euros n'est pas encore entrée en vigueur.

En 2011, M. Depardieu était le cinquième acteur le mieux payé en France, avec un cachet de 2 millions d'euros, selon Le Figaro. Selon le barème en vigueur en 2012 – on paye son impôt sur les revenus de l'année précédente –, M. Depardieu aurait donc dû payer 787 350 euros, soit un taux moyen de 39,4 %.

Barème Somme concernée (€) Somme payée (€)
De 0 à 5 963 € 0 % 5 963 0
de 5 963 € à 11 896 € 5,5 % 5 933 326,3
de 11 896 € à 26 420 € 14 % 14 524 2 033,4
de 26 420 € à 70 830 € 30 % 44 410 13 323
au delà de 70 830 € 41 % 1 929 170 771 668
TOTAL 787 350,6 euros

Ce, dans l'hypothèse où l'acteur n'aurait fait aucune optimisation fiscale et n'aurait rien déduit des sommes à déclarer. Peu probable. On peut donc postuler que les revenus de M. Depardieu sont substantiellement supérieurs à son seul cachet d'acteur. Pour arriver à 85 % d'impôts, il est donc fort possible que M. Depardieu ait cumulé la taxation de ses revenus et l'impôt sur les bénéfices de ses sociétés.

L'acteur Gérard Depardieu dans le film
  • L'impôt de solidarité sur la fortune, une contribution conséquente

Si, dans sa lettre, le nouvel habitant de Néchin parle, non pas de 85 % d'impôt sur le revenu, mais de 85 % de ses revenus en impôts en tout genre, l'ISF a pu compter pour une bonne part.

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En matière d'ISF, l'année 2012 est une exception. Au 1er janvier est entrée en vigueur la réforme voulue par Nicolas Sarkozy – en contrepartie de l'abandon du bouclier fiscal ; une refonte du système qui a été supprimée cet été par la nouvelle majorité lorsqu'elle a voté le projet de loi de finances rectificative. Mais les effets de cette suppression ne se feront sentir qu'en 2013.

Pour générer, dès 2012, les revenus escomptés par cette contre-réforme, le législateur a voté une "contribution exceptionnelle" pour mettre l'ISF en 2012 au même niveau qu'en 2011 et 2013. Celle-ci, qui ne doit pas durer plus d'un an, n'est pas plafonnée et peut donc atteindre des sommes assez importantes : 1,80 % de la valeur du patrimoine au-delà de 16,79 millions d'euros.

Lire : "ISF : retour à l'ancienne formule"

Quel est le patrimoine de l'acteur ? Là encore, difficile à dire. Mais pour partir le cœur léger outre Quiévrin, M. Depardieu vient de mettre en vente son hôtel particulier de la rue du Cherche-Midi, dans le sixième arrondissement de Paris. Son prix de vente : 50 millions d'euros. Selon Le Figaro, M. Depardieu en demande beaucoup pour sa propriété de 1 800 m², que le journal, aidé d'un spécialiste du sujet, estime plutôt entre 21,6 et 45 millions.

21,5 millions d'euros placeraient ce bien dans la tranche supérieure de l'ISF : au-delà de 3 millions d'euros, on applique une taxation de 0,5 % de la valeur du bien, avant décotes éventuelles. Mais il s'agit ici de la résidence principale de l'acteur, qui doit donc déduire 30 % de la valeur de son bien. Soit 6,45 millions d'euros. Il paierait donc, hors autres abattements éventuels, une somme de l'ordre de 75 000 euros pour cet hôtel particulier au titre de l'ISF

Lire : "ISF : comment calculer la valeur d'un bien immobilier"

Mais le patrimoine de M. Depardieu est bien plus vaste que cette propriété parisienne. Il est propriétaire d'un château dans le Val de Loire, d'une SCI dans les Yvelines, et vient de lancer la construction d'une seconde villa de 750 m² en Normandie, sur les hauteurs de Trouville.

Un patrimoine immobilier plutôt important, donc, et sur lequel il a dû s'acquitter de 0,5 %, plus une surtaxe de 1,80 %, soit un total de 2,30 %. En imaginant que M. Depardieu ait un patrimoine total de 100 millions d'euros, il aurait ainsi pu payer jusqu'à 2,3 millions d'euros d'impôt sur la fortune. Quant à ses nombreuses vignes, elles bénéficient, partiellement, d'exonérations d'ISF.

  •  Quid du bouclier fiscal ?

Si on ne connaît pas précisément le patrimoine et les revenus de M. Depardieu, on peut sans conteste le classer parmi les grandes fortunes françaises. Le Wall Street Journal évoque jusqu'à 120 millions d'euros de patrimoine et d'entreprises. Et à ce titre, il a dû bénéficier du bouclier fiscal, qui plafonnait les prélèvements à 50 % du revenu au maximum.

Finalement supprimé par M. Sarkozy en fin de mandat, ce dispositif cessera totalement de s'appliquer le 1er janvier. Mais il reste en place pour les revenus fiscaux de 2010 et de 2011, que M. Depardieu a payés en 2012 et payera en 2013. Le bouclier a connu quelques "trous", finalement acceptés par l'ex-majorité, comme la "contribution exceptionnelle" de l'été 2011, qui majore le revenu fiscal de référence de 3 %. Mais il a dû fonctionner également pour M. Depardieu, qui est est en droit de réclamer de l'argent au fisc à ce titre.

Le bouclier fiscal version Sarkozy est mort et presque enterré, mais la nouvelle majorité a été contrainte par le Conseil constitutionnel d'instaurer un nouveau bouclier. Ce plafonnement – qui existait déjà auparavant du temps de Bérégovoy et de Rocard, qui l'a mis en place – sera de 75 % des revenus.

Ces calculs sont théoriques et ne prennent pas en compte une foule d'éléments pourtant de nature à changer la donne. "Ce chiffre de 85 % est possible pour 2012 si l'on intègre impôt sur le revenu, prélèvements sociaux, ISF et surtout la contribution exceptionnelle votée par le gouvernement socialiste. Celle-ci, qui devait être payée au 15 novembre, n'était pas plafonnée, ce qui avait d'ailleurs fait réagir le Conseil constitutionnel", confirme Florent Belon, fiscaliste chez Fidroit. A condition que M. Depardieu n'ait pas eu recours à un ou des conseillers fiscaux afin d'optimiser sa fiscalité, ce qui semble peu probable.

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