Dans quatre milliards d'années, la Voie lactée entrera en collision avec Andromède. Ce ne serait peut-être pas la première fois si l'on en croit Benoît Famaey de l'Observatoire Astronomique de Strasbourg et ses collègues allemands et britanniques. Comme nous l'explique l'astrophysicien, des simulations faites dans le cadre de Mond, une alternative aux lois de Newton de la mécanique et de la gravitation, indiquent que ces deux galaxies seraient entrées en collision sans fusionner il y a environ 10 milliards d'années. Mais cela suppose de remettre en cause le modèle cosmologique basé sur la matière noire.

au sommaire


    En ce début d'année 2013, la confirmation qu'il existait bel et bien des galaxies naines en orbite dans un disque autour de la galaxie d'Andromède avait fait l'effet d'une bombe. Benoît Famaey nous avait expliqué que cette découverte embarrassait les tenants du modèle de la cosmologie standard car elle cadrait mal avec la théorie de la formation des galaxies et des grandes structures dans l'univers observable, basée sur la présence de particules de matière noirematière noire. En revanche, elle apportait plutôt de l'eau au moulin de ceux qui pensent qu'au moins au niveau des galaxies une modification des lois de NewtonNewton de la gravitationgravitation et du mouvementmouvement est une alternative plus convaincante et cadrant mieux avec les faits que l'introduction de nouvelles particules non standard.

    Benoît Famaey nous avait aussi expliqué que les caractéristiques des galaxies naines autour d'Andromède pouvaient être relativement bien comprises en se basant sur des simulations conduites dans un cadre standard, effectuées par son collègue François Hammer en compagnie d'autres chercheurs. Elles supposaient qu'Andromède était entrée en collision, suivie d'une fusionfusion avec une autre galaxie voilà neuf à dix milliards d'années. Les naines de d'Andromède étaient alors des naines de maréemarée produites par cette collision et il en était de même pour les galaxies naines autour de la Voie lactéeVoie lactée qui trouvaient là une origine commune. Le seul problème étant que, dans le cadre standard, ces galaxies ne devraient pas avoir de matière noire, alors que le mouvement des étoilesétoiles en leur sein indique qu'elles en ont si l'on s'en tient à la gravitation newtonienne. D'où le retour en force de l'hypothèse d'une modification de la gravitation.

    Une combinaison de deux images montrant la galaxie d'Andromède (M31) en compagnie de la Lune telle qu'on la verra peut-être sur Terre dans quelques milliards d'années. En bas à gauche, on distingue bien la petite galaxie M110 en orbite autour deM 31. © Nasa/Apod/Adam Block et Tim Puckett

    Une combinaison de deux images montrant la galaxie d'Andromède (M31) en compagnie de la Lune telle qu'on la verra peut-être sur Terre dans quelques milliards d'années. En bas à gauche, on distingue bien la petite galaxie M110 en orbite autour deM 31. © Nasa/Apod/Adam Block et Tim Puckett

    Andromède et la Voie lactée dans un problème à deux corps

    Un fascinant scénario avait ensuite été évoqué par le chercheur que l'on sait être un spécialiste de Mond. Selon lui, il se pouvait fort bien que la galaxie qui était probablement entrée en interaction avec Andromède, il y a environ 10 milliards d'années, ne soit autre que la Voie lactée. On sait que celle-ci doit entrer en collision avec Andromède dans quelques milliards d'années. Selon Benoît Famaey, la théorie Mondthéorie Mond devait rendre possible un tel événement dans le passé, contrairement au modèle standardmodèle standard. Mais il restait à réaliser des simulations et des calculs pour tenter de le savoir. L'astrophysicienastrophysicien nous avait prévenus que cela pourrait bien conduire à une légère révision de l'âge de l'univers observable. Celui-ci pourrait être plus âgé que ce que l'on pensait, afin de donner suffisamment de temps pour que la collision entre Andromède et la Voie lactée ait eu le temps de se produire.

    Il y a quelques mois, Benoît Famaey et ses collègues HongSheng Zhao, Fabian Lüghausen et Pavel Kroupa ont finalement déposé sur arxiv un article montrant, simulation numériquesimulation numérique à l'appui dans le cadre de Mond, que l'on pouvait effectivement soutenir qu'Andromède était entrée en interaction avec la Voie lactée déjà une première fois dans le passé. Plus précisément, ils ont réalisé une simulation à deux corps un peu similaire aux calculs de mécanique céleste qu'expose Richard Feynman dans la partie de son cours de licence consacrée à la mécanique. Benoît Famaey nous explique maintenant ce que lui et ses collègues ont fait.

    Image du site Futura Sciences

    L'astrophysicien Benoît Famaey (qui twitte les articles scientifiques qu'il trouve intéressants sous le pseudo @darth_ben) est un spécialiste reconnu de la théorie Mond. Il l'utilise pour comprendre les galaxies. © Pierre Maraval

    Futura-Sciences : D’ordinaire, quand on parle de simulations de galaxies en interaction, on pense à de gros calculs sur ordinateur traitant les galaxies comme des gaz d’étoiles autogravitants. Avez-vous fait la même chose avec vos collègues mais en remplaçant les lois de Newton par celles de Mond ?

    Benoît Famaey : Non, nous avons, à ce stade, fait des calculs beaucoup plus simples. Il s'agit essentiellement de résoudre un problème à deux corps en utilisant Mond. De la même façon que l'on peut calculer numériquement les trajectoires des planètes autour du SoleilSoleil et prédire leur futur, en théorie du moins, lorsque l'on connaît leurs positions et leurs vitessesvitesses à un instant donné, il est possible de faire la même chose dans le cadre de Mond. Tout comme avec la théorie de Newton, il est aussi possible de renverser le sens du temps pour, en quelque sorte, prédire le comportement des corps célestes dans le passé. C'est ce que nous avons fait pour Andromède et la Voie lactée.

    Vous tenez compte aussi de l’expansion de l’univers mais pas dans le cadre de Mond. Cela ne risque-t-il pas de fausser les calculs ?

    Benoît Famaey : Il est exact qu'il faudrait disposer d'un modèle cosmologique relativiste dans le cadre de Mond. Un tel modèle, qui devrait avoir passé le test des contraintes du rayonnement fossilerayonnement fossile fournies par Planck, n'existe pas encore. Nous pensons tout de même que l'on reste dans un régime d'expansion où l'utilisation du modèle standard est une bonne approximation. Il ne devrait donc y avoir que de toutes petites différences.

    Donc, si l’on résume bien ce que vous et vos collègues avez écrit dans votre article, vous avez fait une simulation décrivant les trajectoires passées de la Galaxie et d'Andromède et vous avez constaté qu’une interaction très rapprochée s’était bel et bien produite il y a environ 10 milliards d’années. Vous nous aviez parlé la dernière fois d’un problème potentiel concernant l’âge de l’univers soulevé par ce scénario. Finalement, ce n’est donc pas le cas ?

    Benoît Famaey : En fait, on a relaté deux simulations dans l'article. Dans la première, on a considéré le Groupe localGroupe local (un ensemble d'une quarantaine de galaxies auquel appartient la nôtre et Andromède dont le diamètre est d'environ 10 millions d'années-lumièreannées-lumière) comme complètement isolé, sans prendre en compte l'effet de champ externe que les grandes structures exercent sur lui. On a conclu qu'une collision avait alors eu lieu dans le passé, grosso modo à la moitié de ce qu'on appelle en cosmologie le temps de HubbleHubble. Si les disques de satellites autour de la Voie Lactée et Andromède avaient été créés lors d'une interaction dans le passé entre ces deux galaxies, on s'attendrait à ce que l'âge de leurs populations stellaires les plus vieilles corresponde au moment de la collision. Or, la moitié du temps de Hubble, c'est à peu près 7 milliards d'années, et l'âge des populations les plus vieilles des galaxies satellites est de l'ordre de 10 milliards d'année. Cela nous a d'abord amené à nous demander si cela voulait dire que l'univers devait être plus vieux dans le cadre de Mond.

    Mais ensuite, en prenant en compte l'effet du champ externe exercé par les grandes structures - champ gravitationnel évalué à partir d'arguments sur la vitesse d'échappement des étoiles dans la Voie lactée avec Mond -, on a trouvé tout naturellement que la solution au problème à deux corps donnait alors bien toujours une collision passée, mais cette fois plutôt il y a 10 à 11 milliards d'années, et ce avec un univers de 13,8 milliards d'années comme nous l'ont révélé les observations de PlanckPlanck (par constructionconstruction puisque l'on prend le modèle cosmologique standardmodèle cosmologique standard comme modèle d'expansion). Bingo pour l'âge des galaxies satellites donc.

    Image du site Futura Sciences

    La trajectoire passée d'Andromède prédite par Mond. Les axes sont gradués en millions d'années-lumière (Mly). En vert, on voit la trajectoire de M31 depuis sa dernière rencontre avec la Voie lactée (Milky Way). © Fabian Lueghausen / Université de Bonn

    Des simulations de collisions de galaxies avec N corps conduisant à la formation de queues de marée où peuvent naître des galaxies naines ont déjà été effectuées dans le cadre de Mond. Y a-t-il des tentatives en cours pour reproduire de façon plus complète la collision qui se serait produite entre Andromède et la Voie lactée dans le passé ?

    Benoît Famaey : Les simulations en question sont bien évidemment la prochaine étape de ce travail. Les simulations de Françoise CombesFrançoise Combes étaient de très grande qualité mais le traitement de l'hydrodynamique du gazgaz à l'intérieur des galaxies était un peu rudimentaire. Je collabore actuellement avec Pavel Kroupa et son étudiant Fabian Lüghausen à l'université de Bonn pour développer nos propres simulations, avec traitement de l'hydrodynamique par les équationséquations d'Euler, et avec une grille adaptative permettant de zoomer sur les zones intéressantes. L'idée, à priori, est d'utiliser les positions et vitesses initiales de la Voie lactée et d'Andromède obtenues à partir de notre simple simulation à deux corps, et d'ensuite refaire tourner la simulation « vers l'avant » (vers l'avant dans le temps), avec cette fois un traitement N-corps des étoiles et une prise en compte de l'hydrodynamique pour le gaz présent dans les galaxies. C'est important pour tenter de décrire la formation des galaxies satellites de la Voie lactée et d'Andromède par collapse du gaz dans les queues de marée. Il faudra sans doute néanmoins essayer plusieurs conditions initiales différentes.

    Dans votre dernier article, vous expliquez que dans le cadre standard avec la matière noire, le champ de gravitation aurait conduit à une force de friction entre Andromède et la Voie lactée qui aurait dû conduire à la fusion des deux galaxies. Mond autorise une interaction dans le passé sans fusion mais alors pourquoi observe-t-on des galaxies qui fusionnent ?

    Benoît Famaey : La fusion de galaxies par frictionfriction dynamique est un phénomène bien connu des simulations numériques standards de fusion de galaxies. Donc, dans le cadre standard, cette collision n'est pas possible. Attention, dans le cadre standard, rien n'oblige à ce qu'elle ait eu lieu : on peut trouver des profils de halo de matière noire tels que cette collision n'ait pas eu lieu, et c'est d'ailleurs l'interprétation standard de l'histoire du Groupe local : pas d'interaction dans le passé. Mais si on arrive à montrer que les prédictions phénoménologiques de Mond continuent à bien fonctionner à des distances de plusieurs centaines de kiloparsecs du centre des galaxies, alors cela voudrait dire qu'on ne peut pas les reproduire avec une distribution ad hoc de matière noire. Avec Mond en revanche, Françoise Combes et OlivierOlivier Tiret ont montré qu'il n'y avait pas de fusion immédiate, mais bien plusieurs passages avant la fusion. Mais au final il y aura bien fusion, mais plus tard, après quelques passages. Ce que l'on voit dans l'univers réel, ce sont des galaxies en interaction. Rien n'indique qu'elles doivent fusionner immédiatement après. Statistiquement parlant, si on a plusieurs interactions avant la fusion pour chaque paire de galaxies, mais au total moins de paires de galaxies en interaction, on verrait exactement la même chose.

    Une série d'images prises par Hubble montrant des galaxies en interaction. Dans certains cas, ces collisions conduisent à des fusions. © Nasa

    Une série d'images prises par Hubble montrant des galaxies en interaction. Dans certains cas, ces collisions conduisent à des fusions. © Nasa

    Pour le lecteur qui se poserait la question de savoir ce qu'il advient de toutes ces considérations quand on se penche sur le cas des collisions entre amas de galaxiesamas de galaxies, il faut déjà savoir qu'ils fusionnent aussi dans les simulations standard, d'autant plus rapidement que la vitesse de collision est faible. Pour le bullet cluster, qui est censé plus ou moins démontrer l'existence de la matière noire, la vitesse de collision est extrêmement élevée (tellement élevée qu'elle en est improbable mais c'est une autre histoire) et la matière noire commence par continuer sa route, mais il y a quand même friction dynamique et, au final, fusion plus rapide que si les galaxies n'étaient pas entourées de matière noire. Avec Mond, le problème est moins clair. Il n'y a pas vraiment de solution expliquant les effets de lentilles gravitationnelleslentilles gravitationnelles sans matière noire « supplémentaire » ou tout du moins sans un nouveau champ mondien jouant le rôle de matière noire à cette échelle. Donc la prédictivité de Mond sur ce qui devrait arriver en est évidemment affectée, puisque les amas sont des objets qu'on ne comprend actuellement pas bien, voire pas du tout, dans le cadre de Mond.