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Comment deux entrepreneuses s’inventent un collègue masculin pour convaincre les investisseurs

Dès l’apparition de Keith Mann, co-fondateur imaginaire de leur startup, les échanges avec les collaborateurs masculins et les investisseurs changent totalement.

Publié le 08 septembre 2017 à 16h17, modifié le 14 septembre 2017 à 13h54 Temps de Lecture 3 min.

Les Américaines Penelope Gazin et Kate Dwyer ont lancé, il y a un an, Witchsy, un site d’e-commerce alternatif créé en réaction à l’interdiction des comptes vendant des potions, baguettes magiques et sortilèges sur la plate-forme d’artisanat Etsy.

Assumant une forte ressemblance avec le magasin des frères Weasley dans la saga Harry Potter, Witchsy se veut une plate-forme sans tabous, où l’on trouve des bibelots un brin obscènes, des badges brodés de slogans féministes, un body pour bébé frappé du slogan « Black lives matter » ou encore un flacon d’ongles humains.

Featured in the article about us on @girlboss ! Witchsy.com/king-sophies-world

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Kate Dwyer et Penelope Gazin peuvent s’enorgueillir de bons résultats pour leur première année : elles ont vendu 200 000 produits et rémunèrent leurs créateurs à 80 % pour chaque vente, rapporte Uzbek et Rica.

Dans une interview à FastCompany, les deux créatrices racontent que les investisseurs ont d’abord été sceptiques : ils trouvaient « l’idée mignonne » mais doutaient de son succès. Car Kate Dwyer et Penelope Gazin sont des femmes. Et bien souvent, elles le sentent : leurs collaborateurs, les investisseurs et les designers, entretiennent avec elles des échanges compliqués.

« Ces collaborateurs, presque tous masculins, nous répondaient souvent avec du retard, et de façon sommaire et vaguement irrespectueuse », décrivent-elles. Un développeur a par exemple répondu à un e-mail par « OK, les filles… ».

Les deux femmes décident alors d’inventer un troisième membre à leur équipe : Keith Mann, présenté comme cofondateur et chargé désormais de la communication par e-mail. Et dès l’instant où cet homme fictionnel apparaît, tout change.

This is so US. If you're in LA watch us on NBC news at 4:30PM! photo: @jessicahinklestyle

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Le jour et la nuit

« C’était le jour et la nuit, raconte Kate Dwyer à FastCompany. Avant, cela me prenait des jours pour obtenir une réponse. Non seulement on répondait plus vite à Keith, mais en plus, on lui demandait s’il n’avait pas besoin d’autre chose. »

Les deux femmes décident alors de laisser vivre un peu leur personnage, pour voir jusqu’où cette différence de traitement peut aller.

Au fil des échanges, non seulement les gens s’adressent différemment à Keith, mais sa présence transforme peu à peu l’image de Witchsy auprès de leurs collaborateurs et leur manière d’interagir avec les créatrices du site.

Un développeur en particulier montre une plus grande déférence pour Keith Mann que pour les deux femmes. « Quand il parlait à Keith, il s’adressait à lui par son prénom, se souvient Penelope Gazin. Quand il nous parlait à nous, il n’utilisait jamais nos noms. »

La différence de traitement entre deux femmes bien réelles et un homme imaginaire aurait pu être décourageante, mais c’est tout le contraire : les créatrices de Witchsy ont eu envie de se battre pour aller au bout de leur projet. « On s’est dit que cela faisait partie du monde actuel, mais qu’on voulait quand même réussir. On voulait que ça marche. »

Un des exemples de sexisme dans les nouvelles technologies

L’expérience de Kate Dwyer et Penelope Gazin n’est malheureusement pas un cas isolé. En mars, Martin Schneider, employé d’une entreprise d’édition de CV, avait raconté une mésaventure similaire sur Twitter : s’agaçant de voir ses interlocuteurs remettre en cause toutes ses propositions par e-mail, il s’était aperçu qu’il avait signé par erreur du nom de sa collègue, Nicole, sur une boîte partagée.

Frappé par cette différence de ton, Martin a proposé une expérience à Nicole : ils ont échangé leurs noms pendant deux semaines, dans chacun de leurs échanges virtuels.

« Les amis, écrira-t-il ensuite sur Twitter, ça a été un enfer. Tout ce que je demandais ou suggérais était questionné. Des clients, d’habitude si faciles à gérer que j’aurais pu m’en occuper en dormant, devenaient tout à coup condescendants. L’un d’entre eux m’a demandé si j’étais célibataire. »

L’histoire de Kate Dwyer et Penelope Gazin doit également être replacée dans le contexte plus vaste de la culture d’entreprise dans les nouvelles technologies aux Etats-Unis. Plusieurs femmes ont témoigné au cours de l’été 2017, à la suite d’un scandale impliquant le PDG d’Uber, pour dénoncer un univers dominé par les investisseurs, en grande partie masculins, où le sexisme et le harcèlement sexuel sont généralisés.

Début août, un employé de Google a fait circuler en ligne un manifeste sexiste critiquant la politique de diversité de l’entreprise. Il attribuait la présence d’une minorité de femmes chez Google à des « différences biologiques ». Selon plusieurs médias, il a été licencié le 7 août, alors que Google faisait l’objet d’une enquête du ministère du travail sur les différences de salaire entre hommes et femmes.

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