Temps de lecture : 3 min
-
Ajouter à mes favoris
L'article a été ajouté à vos favoris
- Google News
Il y a six mois, Serge Volle s'amusait à adresser les cinquante premières pages d'un roman de Claude Simon (Le Palace, éditions de Minuit, 1962) : « Pour voir si les comités de lecture accepteraient aujourd'hui ce manuscrit », explique-t-il, rétrospectivement. Quelques semaines plus tard, il recevait une pléiade... de lettres de refus. Simon avait décroché le prix Nobel de littérature en 1985.
Douze éditeurs ont pris la peine de lui expliquer pourquoi ils renonçaient à publier cet ouvrage. « Les phrases sont sans fin. Elles font perdre totalement le fil au lecteur. Le récit ne permet pas l'élaboration d'une véritable intrigue avec des personnages bien dessinés », lit-on dans l'un de ses courriers. Sept autres maisons n'ont, à ce jour, pas encore répondu. Mais, après l'écho qui a été donné à cette affaire, on doute qu'elles se manifestent désormais.
Surprise
S'il n'est pas vraiment étonné par ce résultat, Serge Volle se dit, en revanche, « très surpris » du retentissement médiatique que sa supercherie a pu avoir. Depuis que France Inter en a parlé, le 11 décembre, les articles consacrés au sujet pullulent sur Internet. « Peu de journalistes prennent la peine de m'appeler avant de publier leur article », remarque l'intéressé, goguenard. Lequel assure n'avoir pas fait cela pour se faire une quelconque publicité et décline d'ailleurs toutes les interviews télévisées, désireux de rester incognito.
Serge Volle est formel. « Si j'avais su le bruit que créerait ma petite blague, j'aurais probablement renoncé », confie-t-il au Point. Le septuagénaire, qui rechigne à parler de lui, semble peu goûter l'agitation qui entoure ce qu'il qualifie de « happening ». L'homme est, de fait, artiste-peintre. L'artiste, qui habite un petit hameau ardéchois, se dit « dépassé » par le vacarme qui accompagne son canular.
Il n'est pourtant pas le premier à tenter l'expérience. L'an dernier, quelques jours avant l'ouverture du Salon du livre, le quotidien belgeLe Soir racontait ainsi s'être amusé à tester, de la même manière, huit éditeurs parisiens et bruxellois. Des manuscrits de Joris-Karl Huysmans et Michel Houellebecq avaient été recalés. En 2005, ce sont Les Chants de Maldoror de Lautréamont, postés par Luc Pire et Luce Wilquin, qui avaient été refusés.
Précédents
Serge Volle voulait savoir si les choses avaient changé. Et si des maisons oseraient publier un auteur dont le style, il le reconnaît lui-même, n'est pas des plus faciles. « Le Nouveau Roman se caractérise par des phrases longues et une ponctuation souvent complexe. Mais ce n'est pas tant ce style qui est en cause que le temps passé par les comités de lecture pour sélectionner des œuvres », émet-il. L'artiste s'en désole. « Comment peut-on juger un livre en ne lisant que la première et la dernière page ? » s'offusque-t-il, répétant, à l'envi, une formule de Marcel Proust (« que Jean Paulhan avait aussi faite sienne », relève Serge Volle) : « Avant d'écrire, soyez célèbres. »
Serge Volle attend avec impatience que l'agitation retombe pour se consacrer de nouveau à la peinture. Mais aussi à l'écriture. Car l'artiste publie également des aphorismes en forme de courts poèmes (« Murmures, cris, écrits », aux éditions Thélème), des récits et des romans. Des ouvrages où il se met à nu. Même s'il dissimule ses expériences intimes derrière une carapace stylistique et un rythme musical qui empruntent beaucoup à ses modèles du Nouveau Roman (Claude Ollier, Robert Pinget ou Nathalie Sarraute).
« Certains me traitent de réactionnaire quand je dis regretter que de grands stylistes ne puissent plus publier leur travail. Dois-je m'excuser d'aimer Sainte-Beuve et Chateaubriand ? »
J'ai écrit un roman raffiné et palpitant que j'ai envoyé il y a un an à dix des plus grands éditeurs. Ils ont tous eu la délicatesse de me le retourner avec des remarques toujours polies. Je viens de le rouvrir et suis effaré par ce que j'ai écrit : c'est nul et minable ! Ils auraient quand même pu me le dire...
Et surtout sont-ils capables de sortir de leur petit univers feutré et protégé ?
Je vais rester polie : illisible et d’un chiant